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La psychanalyse : chronique d'un amour partagé entre la France et l'Argentine

Publié le par Helix Bennington

La salle des dossiers de patients à l'Hôpital Général Bernardino Rivadavia. Pavillon de santé mentale pour adultes. Buenos Aires

La salle des dossiers de patients à l'Hôpital Général Bernardino Rivadavia. Pavillon de santé mentale pour adultes. Buenos Aires

Quel est le point commun entre la France et l’Argentine concernant notre santé mentale ?

Dans le pays du tango, du maté et des jolis garçons, Freud s’est frayé un chemin jusqu’à faire de l’Argentine la plus grande réserve de psys au monde avec un psychologue pour 649 âmes, selon l’Association de Psychanalyse d’Argentine. La majeure partie de ce petit monde se concentre d’ailleurs à Buenos Aires, forte de ses 30 000 psychologues et comptant un praticien pour 180 Porteños (habitants de la capitale)*.

Remplacée aujourd’hui de plus en plus par la psychologie comportementale et cognitive dans la plupart des nations, la psychanalyse résiste encore en France et en Argentine, devenues de ce fait les deux dernières terres d’asile du produit de la réflexion de saint Sigmund. C’est ainsi que pour une psychologue clinicienne d’orientation analytique, effectuer un stage ou travailler dans le pays le plus au sud du monde paraît non seulement tout naturel, mais plus encore : elle constitue LA destination idéale.

A Buenos Aires, la psychanalyse fait partie intégrante de la vie quotidienne. Les alentours de la Place Guëmes à Palermo ont par exemple été baptisés Villa Freud, du fait de la plus grande concentration de cabinets psys au mètre carré. En allant acheter son pain, en prenant le métro ou en prêtant attention tout simplement à la calligraphie placardée sur quelque lampadaire de la ville, on peut lire parmi d’autres petites annonces : « Besoin de parler ? Contactez la psychologue untel » ou « Problèmes de couple, infidélité, séparation, difficultés au travail, dépression…offrons thérapie de couple, thérapie de groupe, thérapie individuelle. Veuillez contacter Monsieur… ». Les mots actes manqués, lapsus, inconscient surgissent de la bouche de la voisine de pallier comme de celle du chauffeur de taxi. Ici tout le monde va voir un psy, et à la différence de la France où « se faire suivre » constitue presque un acte honteux du fait du tabou encore perceptible de soigner son psychisme, à Buenos Aires on le lance au détour d’une conversation, entre les nouvelles chaussures à la mode et le dernier concert en date de Charly Garcia*. Enfin en causant avec la gente locale, on s’aperçoit vite que chaque porteño a une sœur, une tante ou un ami psychologue…quand il ne l’est pas lui-même.

Cette facilité et ce naturel avec lequel les habitants de la ville portuaire « parlent psychanalyse » fait écho aux consultations psychologiques données à l’hôpital public. Je prendrai en exemple l’Hôpital Général Bernardino Rivadavia où j’ai travaillé. Lors des premiers entretiens que j’ai menés au sein du pavillon de psychiatrie, chargée de l’admission des nouveaux patients, j’ai été surprise de constater la rapidité et l’aisance que ces derniers avaient de parler à un psychologue, et ce malgré mon accent trahissant les origines gauloises. Sitôt le séant effleurant le siège, la plupart des patients déballe tout et sert ses problématiques sur un plateau d’argent. Il n’y a pas ce petit temps de malaise comme il l’existe en France, ce temps infime mais présent d’acclimatation à son interlocuteur avant d’exposer ce qui ne va pas au grand jour. La libre circulation de la parole fait ici partie de la culture et la concevoir comme un traitement paraît donc du plus naturel qui soit. Si l’on prend de plus en compte la longue attente avant de décrocher un rendez-vous à l’hôpital public (gratuit en Argentine), il n’y a pas de temps à perdre : une fois installé en face du psy : on parle !

Tous les hôpitaux publics de Buenos Aires ne se valent pas et l’hôpital Rivadavia souffre particulièrement de l’abandon financier du gouvernement de la ville (dirigé par Mauricio Macri). Les observations dictées dans ce papier n’engagent donc que mon expérience au sein de ce lieu de soins.

Tout d’abord, le patient venant consulter à l’hôpital public Rivadavia n’est pas un être pudique. En effet, les consultorios (endroits où se déroule la consultation, je rajouterai : lorsqu’on en trouve un de disponible) sont divisés en deux pour donner espace à deux entretiens. Notons que le mot « divisé » est ici théorique. Dans la pièce, deux tables sont séparées symboliquement par une cloison de quelques centimètres d’épaisseur n’atteignant pas le plafond, ce qui signifie que chaque mot prononcé par le patient et le psychologue du bureau d’à côté, sera entendu. Toutefois, le consultorio apparaît comme un lieu d’une intimité luxueuse si on le compare aux entretiens pouvant être menés dans certains autres endroits du pavillon de santé mentale, faute de locaux, comme la salle de classe où chaque psychologue et psychiatre reçoit son patient là où il peut. Il est d’ailleurs parfois étrange en pénétrant cette salle, de se retrouver ainsi face une multitude de « couples » thérapeutiques. Enfin lorsqu’on pense avoir tout vu du défaut d’intimité lors d’une consultation dans l’un des hôpitaux publics de Buenos Aires, surgissent encore d’autres surprises, et là, il me faut m’incliner devant l’exercice de la profession envers et contre tout, allant jusqu’à recevoir les patients dans les couloirs du pavillon.

Pour l’avoir expérimenté au cours de mes entretiens, il est possible d’aider un patient dans ces conditions, ce qui au final reste le plus important. Disons simplement que les conditions de travail ne sont pas du domaine de l’idéal pour accueillir correctement une personne en consultation et lui offrir l’intimité minimale davantage prise en compte dans le pays tricolore. Néanmoins, le manque de moyen financier et par conséquent le manque de moyen pratique, comme dans toutes situations, donne aussi vie au « système D » et ainsi à la création d’une clinique* dynamique et innovante cherchant par tous les moyens à s’adapter au patient.

Les deux nations sœurs partageant la même passion pour la psychanalyse ont une façon différente de concevoir cette science humaine et de la mettre en pratique, et ceci de par l’originalité de leur culture propre. Là où le cadre clinique revêt une importance très rigide en France : l’importance du vouvoiement suivi du patient, celle du lieu où se déroule l’entretien, la distance physique d’avec le Sujet, la distance dans les mots, le respect des horaires et du temps de la séance, les interrogations sans fin concernant l’acceptation ou la non-acceptation d’un cadeau venant d’un patient…l’Argentine donne le sentiment d’une plus grande souplesse et donc d’une plus grande inventivité dans la manière d’accompagner le demandeur de soins. Quand le thérapeute gaulois se comporte de façon ultra-formelle, son collègue argentin officie en tutoyant rapidement son patient (qui lui l’aura déjà tutoyé d’office), en lui faisant la bise pour le saluer, en acceptant la plupart du temps ses petits cadeaux symboliques sans avoir l’impression de commettre là un crime de lèse-majesté, en effectuant ses consultations dans des décors variables : un bureau, une salle de classe, un couloir, un parc même !…Tout simplement parce qu’il n’est pas possible de faire autrement, mais aussi parce que les Argentins ont peut-être cette capacité d’adaptation et cette décontraction légendaire les autorisant à jouer davantage avec les limites.

Il est envisageable de penser que cette aisance retrouvée chez les psychologues argentins dans leur pratique quotidienne, y compris chez les jeunes diplômés, découle en partie de leur formation post-universitaire. A la différence de la France où le frais clinicien se retrouve brutalement lâché chez mère nature après son MASTER professionnel, n’ayant d’autre choix s’il souhaite compléter sa formation que d’effectuer un DU (Diplôme Universitaire) généralement cher et sur 1 ou 2 ans ou un DOCTORAT, l’Argentine a crée le système de l’internat à l’attention des psychologues. Comme pour les médecins français passant le concours de l’internat afin de se spécialiser chacun dans une discipline, les diplômés argentins ont la possibilité de postuler à une place en Residencia ou en Concurrencia, ce qui leur permet de démarrer leur vie professionnelle tout en étant encadrés dans une structure hospitalière. Pour les plus chanceux, la Residencia leur octroiera un solde durant 4 années qu’ils réaliseront à temps plein. Pour la grande majorité d’entre eux ce seront 5 années sans solde (!) mais à temps partiel, passées au service de divers hôpitaux. Du fait de ce manque à gagner, il sera d’ailleurs commun de voir des personnes travailler dans des domaines radicalement différents de la psy, comme cette psychologue en même temps professeur d’anglais effectuant sa Concurrencia dans le service d’interconsultation de l’hôpital général Rivadavia. Dans les deux cas il est permis au jeune psy d’exercer sa profession tout en continuant à être suivi et cadré par ses supérieurs qui lui laisseront une liberté d’action dans sa pratique. Son statut de « psychologue débutant » le protégeant d’éventuelles erreurs, il peut donc davantage prendre confiance et laisser libre-court à la création de sa pâte personnelle qu’il choisira d’appliquer dans la rencontre avec son patient.

En fin de compte c’est du fait d’oser et d’essayer diverses techniques calquées sur les ressentis que l’on aura à tel moment avec tel patient, que naîtra véritablement le psychologue clinicien d’orientation analytique, que celui-ci soit français ou argentin et qu’il exerce sa profession en France ou en Argentine. Car avant tout, si les deux pays ont une manière différente d’aborder la psychanalyse, ils n’en partagent pas moins la même volonté de continuer à la faire vivre et le même amour.

 

Helix Bennington

 

*http://www.papierlibre.fr/argentina%20semana%204.swf

*Carlos Alberto García Moreno est un chanteur très populaire de rock argentin.

*Clinique : Tout ce qui a trait au contact entre le psychologue et son patient. Définition originelle : Qui a lieu auprès du lit des malades. Ex : Observation clinique. Leçons cliniques. Médecine clinique.

Article publié sur : http://tout-ca.com/2010/04/14/la-psychanalyse-chronique-d%E2%80%99un-amour-partage-entre-la-france-et-l%E2%80%99argentine/

 

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